par Sophie Louet et Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Espérer gagner l'élection présidentielle de 2017 en promettant aux Français du sang et des larmes paraît hasardeux. Mais c'est le pari de la plupart des candidats à la primaire de la droite.
Tous ont dans leur programme le report de l'âge de la retraite à 64 ou 65 ans, l'allongement de la durée du travail, la suppression de l'impôt sur la fortune (ISF), des indemnités chômage dégressives ou la réduction des dépenses publiques.
L'ancien Premier ministre François Fillon dit même "admirer" Margaret Thatcher, une référence audacieuse en France, où la dirigeante britannique passe pour le symbole de l'ultralibéralisme brutal mis en oeuvre au Royaume-Uni.
Mais paradoxalement, les difficultés rencontrées par François Hollande avec un projet de loi Travail pourtant en retrait par rapport aux ambitions initiales ont peut-être préparé le terrain, notent des analystes interrogés par Reuters.
Fin 2013, Nicolas Sarkozy lançait une mise en garde contre le traitement de choc prôné par ses principaux rivaux, François Fillon et Alain Juppé, pour redresser l'économie française.
"C'est un drôle de programme de promettre les 39 heures payées 35 et la retraite à 65 ans. Bon courage à celui qui veut se faire élire là-dessus !" déclarait alors l'ancien chef de l'Etat, quitte à prendre des libertés avec la réalité.
Ni lui ni ses principaux rivaux ne proposent la semaine de 39 heures payées 35. Mais cette sortie du président du parti Les Républicains (LR), pour qui "s'afficher libéral n'est pas le passeport absolu pour gagner", a le mérite de poser les enjeux.
"Quand on voit le cirque autour de la loi Travail, qu'est-ce que ce sera quand ils feront la retraite à 65 ans, supprimeront l'ISF, des centaines de milliers d'emplois publics ou les 35 heures et feront des dizaines des milliards d'euros d'économies ?" dit Frédéric Dabi, directeur adjoint de l'Ifop.
Pourtant, ce spécialiste de l'opinion française et d'autres analystes interrogés par Reuters jugent le pari gagnable par le futur candidat de la droite à l'Elysée, à plusieurs conditions.
VALLS A-T-IL FACILITÉ LA TACHE DE LA DROITE ?
La première est qu'il annonce sans fard la couleur dans son programme, contrairement à l'actuel chef de l'Etat et à son Premier ministre, Manuel Valls, qui ont improvisé une réforme du marché du travail en fin de quinquennat, alors que François Hollande n'en avait rien dit pendant la campagne de 2012.
Un décalage sévèrement ressenti par l'opinion, qui a nourri la fronde de l'aile gauche du Parti socialiste et l'hostilité des syndicats contestataires, CGT et Force ouvrière en tête.
La deuxième condition, selon Frédéric Dabi, est que l'effort soit équitablement réparti et que l'Etat en prenne sa part. La troisième, plus aléatoire, est l'assurance que la mise en oeuvre des mesures annoncées soit suivie rapidement de résultats, ce qui n'a pas été non plus le cas sous l'actuel quinquennat.
"Cette expérience doit servir aux futurs candidats, de droite ou de gauche", fait valoir Céline Bracq, directrice générale de l'institut Odoxa. "Pour pouvoir être élu, il faut présenter un projet global cohérent qui laisse penser qu'il y aura un véritable impact sur l'économie et l'emploi."
"Il peut y avoir des mesures fortement rejetées par l'opinion. Ce n'est pas si grave si ça apparaît cohérent", ajoute cette analyste, qui note au demeurant une évolution de l'opinion, au-delà des apparences données par quatre mois de crise politique et sociale autour du projet de loi Travail.
Si la politique du gouvernement a été jugée sévèrement pour cause d'inefficacité et de contradiction avec les promesses de François Hollande, Manuel Valls et le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, ont contribué à habituer les Français à des idées encore jugées trop libérales il y a deux ans, dit-elle.
"Ils ont facilité la tache de la droite, qui peut aller un peu plus loin qu'elle aurait pu l'imaginer en 2012 parce que ce n'est plus si choquant que ça", explique-t-elle.
LE TABOU DE L'ISF
Selon un sondage réalisé par Odoxa début mai, 66% des Français seraient ainsi favorables à ce que les entreprises puissent fixer librement la durée hebdomadaire de travail entre 35 et 39 heures, ce que la loi Travail propose d'ailleurs de faire en passant par la négociation d'accords d'entreprise.
De même, ils sont 53% à soutenir la réduction du nombre de fonctionnaires de 300.000 en cinq ans, le seul vrai tabou étant la suppression de l'ISF, avec seulement 30% d'avis favorables.
Pour l'économiste Christian Saint-Etienne, qui a participé à l'élaboration du projet des Républicains, c'est la seule mesure qui peut véritablement avoir un coût politique.
Il prône d'ailleurs le maintien de l'ISF, avec un taux réduit de moitié, "pour faire passer les autres mesures". Pour le reste, il considère que les projets de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé ou François Fillon "est un programme social-démocrate totalement compatible avec le système culturel français".
Quant aux mesures traditionnellement qualifiées de "cadeaux aux patrons", comme la baisse de l'impôt sur les sociétés, elles sont plus acceptables dès lors que les petites entreprises sont présentées comme les principales cibles, souligne Céline Bracq.
Enfin, les analystes font état d'une prise de conscience des Français concernant le lien entre le niveau des dépenses publiques et de la dette et l'état de santé de l'économie.
La preuve pour l'équipe d'Alain Juppé que les Français sont mûrs pour la réforme : "Les électeurs ont compris qu'il faudra le faire", estime Maël de Calan, un proche du maire de Bordeaux. "Ce qu'ils veulent, c'est faire confiance en quelqu'un."
D'accord sur l'essentiel avec ces analyses, Edouard Lecerf, directeur du département opinion de TNS Sofres, émet un bémol : "Ce qui est un peu dangereux, dans ces programmes, c'est qu'il n'y ait pas grand-chose qui fasse rêver."
AGIR VITE OU EN DOUCEUR ?
Un avis partagé par le candidat Bruno Le Maire, qui met en garde ses rivaux contre une confiance déraisonnable en la capacité "d'encaisser" des Français.
"Lorsque l'on va trop loin, on devient très vite injuste", disait en mai l'ancien ministre, pratiquement seul dans son camp à vouloir promettre de "l'enthousiasme et de l'espoir".
En 2007, Nicolas Sarkozy a été élu sur la promesse d'être le "président du pouvoir d'achat" et du "travailler plus pour gagner plus". Là, souligne Edouard Lecerf, "tout ce qui émerge est un peu punitif, à part les baisses d'impôts".
Mais pour le député LR Benoist Apparu, soutien d'Alain Juppé, "les Français sont mûrs (...) pour une campagne pas forcément sexy mais qui aura le mérite de la crédibilité".
La plupart des analystes distinguent élection et mise en oeuvre d'un programme, le cocktail proposé par les candidats à la primaire de droite pouvant s'avérer détonant à l'usage.
"Etre élu puis rester suffisamment populaire pour appliquer son programme sont deux choses différentes", souligne Céline Bracq. "C'est le défi de tous les candidats (...) Il faudra très vite que les Français se disent qu'il n'y a pas eu tromperie."
"Les Français peuvent encaisser tant que c'est un programme. Ensuite, ça sera un peu différent", notamment quand il faudra trouver les postes de fonctionnaires à supprimer ou que revenir sur les 35 heures "fera perdre des heures supplémentaires ou des jours de RTT", renchérit Edouard Lecerf.
Pour lui, si la droite l'emporte, elle aura une fenêtre de tir de 12 mois maximum. Et là, des nuances apparaissent déjà.
Selon Maël de Calan, Alain Juppé "n'a pas envie que ce soit trop rapide", car "il ne faut pas que ce soit trop violent". Une allusion à la "Blitzkrieg" prôné par François Fillon.
"Il ne faut pas faire déborder le vase en voulant trop en faire", disait déjà Alain Juppé au Monde en août 2015, lui qui a dû gérer plusieurs semaines de paralysie de la France par un mouvement social fin 1995, quand il était Premier ministre.
La méthode jouera un rôle clef, comme le montre le tollé suscité par le recours à la procédure de l'adoption sans vote (article 49-3 de la Constitution) pour la loi Travail.
Alain Juppé entend mettre en oeuvre ses réformes par ordonnance. Ses conseillers estiment que les Français peuvent l'accepter si "on leur a annoncé la couleur" avant.
(Edité par Yves Clarisse)